La Forme de l’Eau : manque de saveur

La Forme de l’Eau, 10e film de Guillermo del Toro, film de la consécration et de la maturité (?) du réalisateur, a obtenu un succès à la fois critique et public, ce qui est plutôt rare pour un film fantastique.

Cependant, pour moi, ce film est justement un peu comme de l’eau : c’est beau, fascinant dans la forme, mais ça manque de saveur… Je suis fan du mexicain depuis toujours, et je vais voir chacun de ces films en salle. Depuis quelques temps, je suis malheureusement souvent désappointé.. La mise en scène est de plus en plus aboutie, mais les histoires perdent aussi de plus en plus de leur complexité et de leur substance.

La Forme de l’Eau a récolté 4 oscars en 2018, dont celui du meilleur film, face à des concurrents de poids (Pentagon Papers, les Heures Sombres, Dunkerque…). Un choix incompréhensible pour moi (bien que j’aime bien del Toro), car la Forme est loin d’être son meilleur film, il est bien moins intéressant que le Labyrinthe de Pan et l’Échine du Diable, par exemple. Faut-il y voir une volonté de rendre tardivement hommage au réalisateur mexicain ? Ou la volonté de récompenser un film plein de bons sentiments, dans une époque qui est plutôt sombre ? Un peu des deux, sûrement.

La Forme raconte la romance entre une femme de ménage muette (Sally Hawkins), et une créature aquatique (Doug Jones), emprisonnée dans un laboratoire de recherche. C’est l’occasion pour del Toro de déclamer à nouveau son amour pour les monstres et les films fantastiques de l’ancien temps (sans oublier les comédies musicales), et d’évoquer nombre de sujets pertinents, tels que la solitude, la tolérance, l’amour, la cruauté des hommes… Le tout sous fond d’espionnage et de guerre froide, chacun des camps essayant d’exploiter la Créature pour son propre avantage. Il est aussi question du capitalisme, et du mode de vie américain, où la consécration ultime pour un des protagonistes, est d’acheter une nouvelle voiture (une cadillac verte, qui finit toute écrabouillée, humiliation suprême pour son propriétaire).

De bonnes idées mais qui restent à peine esquissées, del Toro se limitant à un focus sur son héroïne et sur ses sentiments amoureux. C’est tout à son honneur d’avoir créé un personnage féminin attachant, et profondément humain, qui est très loin des stéréotypes hollywoodiens. Mais il laisse de côté des pans entiers de son histoire, comme ceux qui concernent la créature : d’où vient-elle ? Quels sont ses sentiments ? Est-ce une « Chose » ou un être sensible ? La communication semble impossible, bien que Sally apprenne à la Créature quelques éléments de langue des signes. Et par conséquence, on a du mal à s’attacher à la « Chose », et on comprend mal ce que Sally lui trouve. Peut-on aimer quelqu’un sans échanger avec lui ?

Il y a aussi des incohérences : la Créature révèle à la fin qu’elle possède des pouvoirs de guérison miraculeux, mais elle se fait torturer et malmener tout au long du film ! C’est un détail, mais fallait-il absolument rendre la Créature « magique » ? C’est comme dans E.T., le fait de la doter de pouvoirs de guérison (et de repousse capillaire) permet de la rendre plus immédiatement plus sympathique et plus attachante auprès du public … La ficelle est un peu grosse, surtout que quelques temps auparavant, on nous la montre en train de manger un chat…

Autre point qui m’a dérangé, la façon de présenter la société américaine d’une façon extrêmement manichéenne : d’un côté les méchants suprémacistes blancs, de l’autre les humbles travailleurs, qui font preuve de bravoure et de compassion. Le méchant de l’histoire (Michael Shannon) est détestable en tout point. Il est ambitieux, imbu de lui-même, raciste, sadique, désagréable, et ne présente aucun aspect qui pourrait le rendre intéressant. Tout est fait pour que le spectateur le haïsse et souhaite sa mort, dans la bonne tradition des pulp movies. Pour la subtilité, on repassera…

Pour finir, l’intrigue est totalement prévisible, l’histoire est sur des rails et ne présente aucune surprise, aucun retournement de situation. On devine d’avance que Sally va sauver la Créature, que son voisin va refuser de l’aider puis se raviser, qu’elle va être trahie par sa collègue de travail, etc, etc… Le seul intérêt réside dans la façon dont Guillermo del Toro filme les évènements, de manière magistrale, il faut le reconnaître.

Je suis content que de Toro soit reconnu par la grande famille du cinéma, mais la Forme de l’Eau reste pour moi un film mineur, agréable à regarder, et vite oublié. J’espère vraiment qu’il pourra mettre en œuvre des projets plus ambitieux, la comédie sentimentale ce n’est pas son fort…

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