Batman vs Superman : une pichenette plutôt qu’une claque

Il y a comme un sentiment de rendez-vous raté et d’inabouti dans Batman vs Superman… Et pourtant 3 ans séparent le dernier film de Zack Snyder de Man of Steel (que j’avais trouvé brillant). Les images et la réalisation assurent mais le scénario enchaine maladresse et bonne idées,  d’où un sentiment plutôt mitigé à la sortie.

Je commence par les points positifs : pour moi le Batman joué par Ben Affleck est plutôt réussi. Son Batman est vieillissant (20 ans de lutte contre le crime), et assez proche du Dark Knight de Frank Miller. Un gros bourrin amer et solitaire, paranoïaque et extrême dans sa façon de faire régner l’ordre (marquage au fer rouge de ses victimes). Entre-apercevoir le costume de Robin dans une vitrine avec un message laconique du Joker « tel est pris qui croyait prendre » laisse penser que le Bat a connu des jours moins sombres, et que tous ses amis sont morts sauf Alfred. Seul bémol, alors qu’il est sensé être le plus grand détective du monde (et qu’il possède un super-ordinateur et de nombreux gadgets technologiques), Batman se fait berner successivement par Wonder Woman et par Lex Luthor. Dommage.

Une image qui renvoie directement au Dark Knight Returns de Frank Miller…

On a beaucoup parlé de reboot de Batman, mais ce n’est pas vraiment cela… Un reboot recrée complètement un personnage depuis le début, et retrace ses origines. Or ici, la genèse du nouveau Batman est la même que dans Batman Begins, et on pourrait très bien imaginer Christian Bale sous le heaume du justicier. La différence se noue au niveau du 3e Batman de Christopher Nolan (et encore, ce n’est pas certain) : le précédent Batman renonçait à faire la justice, passait le relais à Robin, et partait en lune de miel avec Catwoman. Ici, on a l’impression que Batman n’a jamais été amoureux, et qu’il a perdu à tout jamais le goût de la vie (ce qui le maintient debout, c’est l’obligation morale de protéger les gens).

Face à Bruce Wayne, le Superman de Man of Steel est égal à lui même : maladroit dans sa façon de se comporter avec les gens, hautain et inquiétant dans son rôle de superhéros. Un personnage qui suscite l’amour mais aussi la haine. Pourquoi tant d’acharnement contre le « False God » ? Bien sûr, il y a eu la destruction de Metropolis, mais on ne voit quasiment jamais Superman en action dans le film. Continue-t’il à causer des victimes collatérales ? Est-il un danger pour la planète ? Batman et Lex Luthor pensent que oui, mais on manque un peu de matière pour étayer cette opinion. Dommage. La bande annonce (il faut toujours se méfier des bandes annonces) faisait croire que la population se soulevait contre Superman, mais en fait il ne s’agissait que d’une petite manif…

Général Zod : le vrai Kryptonien, c’est lui

Qu’est-ce qui justifie le fait que Sup veuille castagner le Bat ? Il le juge dangereux et aussi nocif que les criminels qu’il combat,un franc-tireur qui ne suit pas les règles (ce qui n’est pas faux). Peut-être est-il même un peu jaloux de voir qu’un simple mortel arrive à faire aussi bien que lui ? Le Superman de Zack Snyder a un côté hautain et orgueilleux, il est clair qu’il se croit lui-même au-dessus des autres (bon c’est vrai qu’il l’est souvent !). Par contre, là où c’est compliqué, c’est que Superman est sensé avoir un code moral à toute épreuve, et qu’il se contrôle pour ne pas tuer ou mutiler ses adversaires. Dans Man of Steel, Kal El renonçait à son héritage kryptonien et choisissait d’être gardien de la Terre plutôt que maître du monde. On a tendance à l’oublier, mais les Kryptoniens (à l’exception de Kal-El et de sa famille) sont des impérialistes et des esclavagistes. A ce titre, le Général Zod était un digne représentant de ce peuple.

Du coup, pourquoi Superman ne laisse-t’il pas Batman tranquille, et pourquoi ce combat à mort  ? Il faudra pour cela une pirouette scénaristique, et un complot machiavélique de Lex Luthor (dont a du mal à suivre le raisonnement). Une excuse un peu tarabiscotée pour justifier le fait que Kal-El enfreigne son propre code moral.

Côté Batman, le côté paranoïaque du personnage peut facilement expliquer qu’il se méfie de Superman (c’est le thème de nombreux comics, et notamment de la série Injustice : Gods among us). Dans cette série qui fait entrer en scène un maximum de personnages DC Comics, Superman devient une sorte de dictateur suite au meurtre de Lois Lane et les super-héros/super-vilains se rangent en deux camps : les pro-Superman (avec Wonder Woman, Flash, Cyborg..) et les anti-Superman (Batman, Catwoman, Constantine, Arrow…). Bref c’est du Civil War à la sauce DC, et un passage de type flash-forward dans le film de Snyder, où Batman affronte une horde de soldats portants le logo du Superman, nous évoque un futur qui sera évité de justesse (ou juste repoussé). Dans la BD, Superman « bascule du côté obscur » suite à l’assassinant de Lois. Dans le film, c’est la mort de Martha Kent qui aurait pu être le déclencheur.

Dans Injustice, Superman devient franchement patibulaire

Bref, si les raisons de l’affrontement sont bien amenées, et alors que le combat en question est plutôt violent, il se dégonfle comme une grosse baudruche, sous un prétexte totalement fallacieux (Bat et Sup deviennent copains parce que leurs mamans ont le même prénom ? Non mais allo, quoi !). L’arrivée de la menace Doomsday, et l’intervention de Wonder Woman achèvent de nouer l’alliance entre les deux justiciers. Là aussi, c’est extrêmement maladroit : on sent bien que les scénaristes ne savaient pas trop quoi faire pour interrompre le combat. Comme il était inenvisageable (au point de vue marketing) de tuer un des protagonistes, il a bien fallu trouver un Deus ex machina en la personne de Doomsday. Dans la série Injustice, les scénaristes ont imaginé une fin plus brutale : Superman brise la colonne vertébrale de Batman, le laissant en vie mais totalement inoffensif (pour un moment).

Wonder Woman est très jolie mais elle n’apporte pas grand chose à l’histoire… Quant aux « meta-humains » qui sont teasés et qui devraient ouvrir de nouvelles franchises DC (Flash et ses copains), ils laissent un peu perplexe… Lex Luthor en génie fébrile et à moitié cinglé est un personnage bien esquissé, mais c’est un peu facile de justicier ses actes par un « c’est parce qu’il est cinglé ». Pourquoi s’amuse-t’il à organiser le combat entre Sup et Bat ? Pourquoi fabrique-t’il une abomination kryptonienne ? Pourquoi est-ce qu’il kidnappe Lois pour juste ensuite la jeter du haut d’un immeuble ? Le personnage manque de consistance et part dans tous les sens, un peu comme un Joker bis. Dans les comics (et même dans la série Smallville), Lex est un individu intelligent, froid et calculateur, qui ne fait jamais rien sans raison. Il est de fait beaucoup plus convaincant, et plus inquiétant.

Je ne vais pas conclure mon article en parlant de gâchis scénaristique : il y a de bonnes idées (comme le prologue avec la destruction de Metropolis vue par Bruce Wayne, ou le Flashforward avec le Batman du futur) et le film se suit agréablement (bien qu’il soit beaucoup trop long et bavard). Ceci dit, ce n’est pas du niveau de Man of Steel (et des précédents Batman), et c’est dommage que ce rendez-vous attendu depuis si longtemps (c’est la première fois qu’il y a un cross-over dans les films DC) soit à moitié raté.

En fait, je pense surtout que c’est l’idée d’introduire la Justice League qui pose problème. Avec Batman vs Superman on avait quelque chose de relativement simple et équilibré. Par contre le fait d’ajouter Wonder Woman (qui ne sert à rien), et Doomsday (pour justifier l’alliance des 3 justiciers), c’est artificiel, c’est trop casse-gueule, on n’y croit pas. Plutôt que d’insérer trop d’ingrédients, il fallait laisser le gâteau comme il l’était, là ça devient un peu lours et indigeste.