Valérian et Laureline : de la page à la toile

Edit : la critique c’est par ici

La bd Valérian et Laureline est née en 1967 dans le journal Pilote, de la main de Jean-Claude Mézières (dessinateur), Évelyne Tranlé (coloriste), et Pierre Christin (scénariste). Tous trois vont collaborer ensemble sur une série qui compte 23 albums, de 1970 à 2010. Et oui, ça fait bien 40 ans d’aventures de SF à la française !

Ces 40 ans sont aussi autant d’années d’expérimentations et de changement de style. Valérian n’est pas une série monolithique et ultra-cohérente, ça part dans tous les sens, et on ne sait plus bien si c’est de la SF, de la fantasy, du polar, de la comédie….

Allez je tente d’expliquer la série pour ceux qui ne la connaissent pas (et ils sont nombreux, l’âge d’or des années 70, propice à une explosion de talents tels que Moebius, Caza, Bilal, est loin derrière nous…)

Une série tarabiscotée

La série se focalise sur un futur lointain, où la technologie a considérablement évolué. Nos deux héros sont des « agents spatiaux-temporels », leur mission est de protéger la Terre à la fois dans ses relations avec les autres civilisations, mais aussi dans son histoire, car la Terre a mis au point le voyage dans le temps et elle ne veut pas quelqu’un s’amuse à changer sa temporalité. Dans l’idée, c’est un mélange de Star Trek et de la Patrouille du Temps de Poul Anderson, sauf que l’Enterprise est réduit à un petit vaisseau piloté par deux agents expérimentés. (un vaisseau qui n’est pas sans avoir inspiré le Faucon Millenium, si l’on en croit certaines rumeurs). Bref, nos deux agents sont capables de faire des bonds dans l’espace et dans le temps, pour sauver le monde et faire régner la justice partout dans la galaxie.

Alléchant ? Certes, mais à l’exception de quelques albums, on ne verra jamais nos héros voyager dans le temps. Ils se consacrent surtout au voyage intergalactique, et leur mission est pour le moins nébuleuse. D’ailleurs les références à leur patrie (Galaxity) sont laconiques, et ils ne croisent quasiment jamais d’autres agents.

Le 1er album (Les Mauvais rêves en 1967) était assez loufoque, avec un style qui n’était pas sans rappeler un album de Spirou. La suite (La Cité des Eaux Mouvantes en 1970) fait une entrée fracassante dans la SF, avec la peinture d’un incroyable univers post-apocalyptique. Les personnages sont encore cartoonesques mais on est dans du sérieux, et c’est une fondation solide pour ce univers futuriste (à noter que dans Star Trek aussi la civilisation a refleuri après un cataclysme nucléaire).

Et après ? Les auteurs laissent tomber le voyage dans le temps, et on part vers des aventures extra-terrestres à la tonalité assez sombre (l’Empire des Mille Planètes, Le Pays sans Étoiles, les Oiseaux du Maître…). Puis on repart vers des histoires plutôt loufoques (L’Ambassadeur des Ombres, Les Héros de l’Équinoxe), avant de revenir vers un univers sombre et réaliste (le dyptique Métro Chatelet – Brooklyn Station), puis de repartir vers du fantastique à la Neil Gaiman (les Foudres d’Hypsis, Par des Temps Incertains…)

Bref, ça change souvent, c’est un peu comme si on passait sans transition de Alien aux Gardiens de la Galaxie, c’est un peu perturbant ! Et c’est un peu frustrant si on aime la SF réaliste. Ceci dit, c’est tout à l’honneur des deux auteurs d’avoir tenté de se renouveler et de sortir du cadre qu’ils s’étaient fixé au départ.

Un couple mythique

Il y a peu de doutes sur la question, Valérian et Laureline sont en couple : dés l’Empire des Mille Planètes, on les voit s’échanger un baiser fougueux. Leur relation est chaotique, avec disputes, moqueries, crises de jalousie, réconciliation, et mots tendres. Comme dans la vraie vie ! Ce réalisme des dialogues et des situations fait que ces personnages futuristes restent très proches de nous, avec des préoccupations souvent bien terre à terre.

Dans ce couple, Laureline, qui était au début de la série un simple faire-valoir, a évolué jusqu’à devenir le vrai cerveau du duo. Dans la plupart des cas, c’est elle qui joue un rôle décisif dans le déroulement de l’histoire, et elle passe régulièrement sur le devant de la scène. Belle et sexy dans sa combinaison moulante, intelligente, et  dotée d’un fichu caractère, c’est une fille qu’on aimerait croiser dans la vraie vie…

Valérian, est un beau gosse, dans le genre sympa mais pas très futé. Les rares fois où il mène l’enquête (par exemple dans Metro Chatelet), on ne peut pas dire qu’il fait des étincelles. Heureusement qu’il s’entoure d’acolytes plus malins que lui ! En plus de cela, il est souvent balourd et brille plus par sa ténacité que par sa subtilité, bien qu’étant plus expérimenté et plus âgé que Laureline. Il est considéré comme un des meilleurs agent de terrain de Galaxity, ce qui explique qu’on l’envoie faire les missions les plus délicates. C’est un peu l’équivalent de 007 mais sans le côté machine à tuer…

Vers les étoiles et au-delà

Que retenir de la série ? Un style unique, avec des dessins qui sont tout simplement un régal pour les yeux. L’imagination sans limites de Christin et Mézière nous apporte sur un plateau une multitude de mondes, de peuples et de gadgets plus ou moins farfelus ( comme Le Transmuteur Grognon de Bluxte ou le Crétiniseur). De fait c’est la richesse de cet univers qui en fait tout le succès, avec en arrière-plan une bonne critique de notre société.

Les extraterrestres que l’on croise ont tous un look extraordinaire, et on n’a pas uniquement une succession d’êtres humanoïdes (avec uniquement des variations sur la couleur de peau et la coiffure comme dans Star Trek).  Amoureux de l’architecture ancienne (de l’antiquité romaine à la renaissance), Mézières aime aussi créer des villes somptueuses et décadentes, habitées par des êtres qui ne nous ressemblent pas physiquement mais ont des préoccupations bien humaines (amasser des richesses, conquérir le pouvoir, ou tout simplement survivre).

Pour finir, il faut bien dire que nos deux agents ne sont pas des justiciers à la Marvel, mais des gens comme vous et moi… Ils ont de la compassion pour les peuples opprimés, et tentent de donner un coup de main quand ils le peuvent, mais sauver le monde ce n’est pas trop leur truc. Plutôt explorer la galaxie, faire des rencontres surprenantes, goûter la nourriture exotique. Bref ce sont des routards de l’espace !

Valérian hors de la case

Alors que Star Wars triomphait dans les années 80 (puis à nouveau dans les années 2000), l’univers de Valérian n’a jamais réussi à être adapté correctement sur grand écran. Il est évident que le budget nécessaire est proprement colossal, et qu’un film sur Valérian demandait une industrie des effets spéciaux qu’on ne possède pas actuellement en France (ni même en Europe). Ce qui s’en rapproche le plus est le 5e Élément de Luc Besson (sorti en 1997). De la SF burlesque, avec des décors et costumes surprenants (merci à JP Gauthier), mais un scénario malheureusement trop simplet.

Le film fut boudé par la critique mais fut un grand succès populaire, au point d’atteindre aujourd’hui le statut de film culte. On aurait pu croire que d’autres films de SF à la française allaient suivre, mais il n’en fut rien. Trop compliqué à produire et à réaliser, pas assez rentable, dédaigné par les autres pays, le 5e élément est resté longtemps le seul de son espèce. Ce genre de film n’est tout simplement pas dans la culture cinématographique de notre pays (et c’est dommage).

En 2007-2008, il y eut une tentative d’adaptation de Valérian en dessin animé, mais tellement éloignée de la bd, qu’on se demande s’ils n’auraient mieux fait de créer une série 100% originale. L’histoire est différente, les personnages sont différents, le design manga est globalement assez laid et rend bien mal hommage aux fabuleux dessins de Mézières. On peut le vérifier sur la chaîne Youtube officielle

En 2015, Luc Besson annonçait qu’il allait réaliser une adaptation de l’Ambassadeur des Ombres, 20 ans après sa brève incursion dans le space opera, suscitant ainsi une vague d’excitation chez les amateurs. (A noter aussi qu’entre-temps il a participé à Lock Out, un film de SF plutôt sympa aussi).

Le Valérian nouveau est arrivé…

Des images du nouveau film (Valérian et la Cité des Mille Planètes) ont été diffusées, ainsi qu’une petite bande annonce. Au niveau design, toute la richesse de la bd s’étale à l’écran, cela valait le coup d’attendre d’avoir une technologie à la hauteur.

Néanmoins, il ne faut pas se réjouir trop vite, adapter Valerian en respectant le matériau d’origine n’est pas évident, d’ailleurs il s’agit plutôt d’une adaptation très très libre (comme la série animée), et ceci pour plusieurs raisons:

  1. Qui connait Valérian aujourd’hui à part les plus de 45 ans ? C’est une bd qui a marqué son époque, mais qui est peu connue des jeunes générations, et dont les créateurs sont (malheureusement) tombés dans l’oubli. A partir de là, pas sûr que le nom de Valérian soit très vendeur, et c’est encore pire dans les pays étrangers. Compliqué pour un film qui est tourné en anglais et qui veut se tailler une place dans le box-office américain !
  2. La SF à la française, est-ce que ça peut marcher ? Le genre Space opera est de nouveau à bien présent au cinéma, avec les Gardiens de la Galaxie, les derniers Star Trek, sans oublier les Chroniques de Riddick, Jupiter Ascending, et j’en passe… Comment se faire une place là-dedans ? Comment créer quelque chose de différent mais qui plait suffisamment au public pour que ce soit rentable ? Le projet Valerian semble arriver trop tard, après tous ces succès internationaux et Besson aura du mal à faire mouche.

Pour toutes ces raisons, et d’après ce qu’on voit dans le dernier trailer, Valerian est clairement un film de compromis, qui renie en partie l’œuvre de Christin et Mézières :

  • les deux héros sont rajeunis (et n’ont plus grand chose à voir avec leur modèle), ceci pour capter un public d’adolescents/jeunes adultes
  • leurs uniformes ont été redesignés et ressemblent à ce qu’on voit dans les jeux vidéos du moment
  • les bestioles extraterrestres ont également été redesignées (notamment les Shingouz) pour les rendre plus sympathiques (?) Moins étranges (?)
  • Il y a beaucoup de scènes d’action pour faire concurrence aux films Marvel

Difficile de dire ce que vaudra Valérian avant de l’avoir vu, mais les signes précurseurs montrent qu’il s’agit d’un reboot complet par rapport à la bd, et d’une recréation quasi totale de l’œuvre. Le Valérian de Besson n’est pas le Valérian de Christin/Mézières (tout comme son Adèle Blanc Sec n’avait pas grand chose à voir avec Tardi).

Je suis donc mitigé, j’espère que ce sera un bon film de SF (sans être un Valérian), mais je doute que ce soit aussi bon que tous les films américains précités (ils ont quand même plusieurs décennies de savoir-faire derrière eux, alors que Besson n’a pas fait grand chose dans le domaine…)

Edit 04/08/2017 : la critique

Au vu des images de production et des premiers trailers j’avais peur, mais je ne voulais pas me prononcer avant d’avoir vu le film. C’est chose faite, et pour moi c’est un gros gâchis, un rendez-vous raté… En premier lieu, je passe vite fait sur le côté adaptation des BD, c’est une adaptation qui est très très libre, et qui n’a guère de respect pour l’œuvre originelle. Il y a tellement de modifications des personnage et de l’univers qu’on ne s’y retrouve pas. Je ne suis pas contre les updates mais à condition que ça serve à quelque chose. Pourquoi avoir transformé les Shingouz en canard ? Pourquoi avoir dénaturé à ce point les 2 personnages principaux ? Pourquoi le vaisseau de Valerian est un vaisseau qui parle et se pilote tout seul ? Incompréhensible, d’autant que d’autres séquences sont quasi-identiques à ce qu’on trouve dans l’Ambassadeur des Ombres. Bref, ce n’est pas le Valerian que l’on connaît.

Oublions le côté Valerian maintenant, est-ce que ce film est un bon film de SF ? Oui et non… C’est chatoyant et inventif, je ne peux pas le nier. On en prend plein les mirettes. Par contre le scénario est simpliste, et les péripéties s’enchaînent de façon incohérente, comme si le but était de caser le maximum d’environnements et de situations loufoques. J’ai eu l’impression de suivre un jeu vidéo, avec changements de niveau parsemés de quelques bagarres et courses-poursuites. L’histoire des Pearl tente d’assurer une cohésion à l’ensemble, mais elle est terriblement simpliste et maladroite (la guerre c’est mal, l’amour c’est bien) et n’arrive pas insuffler un souffle suffisant pour faire tenir toute cette baudruche, qui finit par s’effondrer sur elle-même. Quand aux 2 héros, ils sont fades, et n’engendrent aucune sympathie de la part du spectateur. On se fout de savoir ce qui leur arrive.

Tout cela est bien dommage, car on sent qu’il y a du travail. Mais cette super-production française n’arrive pas à la cheville d’un Gardien de la Galaxie ou d’un Star Trek en terme de narration… Malheureusement en France, on est toujours pas capable de faire de la SF digne de ce nom.

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